Ce cabinet d’avocates mise sur l’élément humain
Déjà, quand elle était enfant, Priscilla Sternat-McIvor voulait devenir avocate. Elle allait à l’école à Winnipeg, mais passait ses fins de semaine et ses étés au sein de la Première Nation de Sandy Bay, à 200 kilomètres au nord-ouest de Winnipeg, où ses parents habitaient auparavant.
Elle était bien consciente du contraste marqué entre la ville et sa communauté des Premières Nations où les rues n’étaient pas asphaltées, où il n’y avait pas de lampadaires, et où certaines maisons n’avaient pas d’eau courante et ne disposaient que de toilettes extérieures.
«Je demandais pourquoi ma vie était si différente dans ma communauté et à Winnipeg, raconte Priscilla Sternat-McIvor. Mon père m’a répondu que c’était très compliqué, et qu’il fallait que je devienne avocate pour réparer les routes.»
Quand son grand-père lui demandait ce qu’elle voulait faire lorsqu’elle serait grande, elle répondait toujours la même chose: être avocate. «Je lui disais que je voulais réparer les routes à Sandy Bay», se rappelle Priscilla.
Le rêve d’enfance de Priscilla Sternat-McIvor s’est réalisé en 2002. Elle a d’abord fait un stage au sein de l’Assembly of Manitoba Chiefs, puis a travaillé dans deux cabinets d’avocats à Winnipeg.
En 2017, elle a cofondé son propre cabinet d’avocats avec Lisa Manaigre, une avocate métis. Leur cabinet, Sternat Manaigre, était le premier à appartenir à des personnes autochtones au Manitoba. Il compte maintenant six avocates spécialisées en droit collaboratif et en droit de la famille.
Une approche plus pacifique
Les deux femmes ont décidé de s’associer lorsqu’elles ont appris que le cabinet où toutes deux travaillaient serait dissout. Priscilla Sternat-McIvor a appelé Lisa Manaigre et lui a demandé si elle avait déjà pensé à travailler à son compte. «Il y a eu un long silence, puis elle a répondu qu’elle avait déjà tout préparé», se souvient Priscilla Sternat-McIvor.
Lisa Manaigre s’était fait la même réflexion et avait même déjà élaboré un plan d’affaires. Elle aussi avait décidé de devenir avocate lorsqu’elle était jeune, à la suite de la pénible séparation de ses parents alors qu’elle fréquentait l’école secondaire. «J’avais été témoin des effets du processus judiciaire sur notre famille et je me m’étais dit qu’il devait y avoir une meilleure façon de faire», explique Lisa Manaigre.
Lisa Manaigre a étudié le règlement extrajudiciaire des différents et le droit collaboratif, des domaines du droit en pleine croissance qui visent à atténuer les tensions et à réduire les conflits lors de l’éclatement des familles.
Un apprentissage laborieux
Le lancement de l’entreprise ne s’est pas fait sans difficultés. Le cabinet où travaillait auparavant Priscilla Sternat-McIvor était axé sur la protection de l’enfance, et elle n’a pas réussi à amener sa clientèle avec elle. «J’ai dû rebâtir ma clientèle. C’était très stressant de devoir recommencer pratiquement du début», affirme l’avocate.
Le duo devait également trouver un bureau et s’établir, engager de nouvelles ou de nouveaux partenaires et du personnel, offrir des formations, apprendre des compétences administratives, concevoir un logo et une enseigne, répondre aux exigences du Barreau et démêler les enjeux bancaires, de comptabilité et de facturation.
«Les questions administratives relatives à la mise sur pied du cabinet prenaient déjà tout notre temps, explique Priscilla Sternat-McIvor. C’était extrêmement difficile de jongler avec tout ça. L’apprentissage a été laborieux.»
Toutefois, les deux avocates ont persévéré, en partie grâce au financement de BDC, qui leur a procuré des fonds pour l’achat d’équipement ainsi qu’un fonds de roulement.
Une philosophie de compassion
Deux ans après son lancement, le cabinet est prospère et a une clientèle diversifiée composée de personnes autochtones et non autochtones. «Nos clients proviennent d’horizons, de milieux socioéconomiques, de cultures, d’origines ethniques et de religions des plus variés», souligne Priscilla Sternat-McIvor.
Le cabinet est réputé pour son approche axée sur les personnes et empreinte de compassion. «Avec vous, je me sens en sécurité et confiant», a écrit un client sur la page Facebook du cabinet. «Mes clients aiment beaucoup m’envoyer des fleurs, affirme Lisa Manaigre. C’est bon de se sentir appréciée.»
L’approche du cabinet consiste à tenter d’abord de résoudre les dossiers avant qu’ils ne soient pris dans une procédure coûteuse et compliquée devant les tribunaux. «Je crois que les gens viennent à moi parce qu’ils savent que j’ai la réputation de régler les dossiers, avance Lisa Manaigre. De tous les dossiers que j’ai traités dans ma carrière, un seul s’est retrouvé devant le tribunal. Je crois que les procès n’apportent pas de solution, contrairement aux règlements rapides.»
Fidèle à sa philosophie de collaboration, le cabinet fait parfois appel à des spécialistes de la famille, qui travaillent de concert avec les parents sur les problèmes de communication et d’éducation, ainsi qu’à des planificateurs financiers, qui aident les familles à mieux comprendre leurs finances après la séparation.
Du soutien pour les femmes et du mentorat
Les deux avocates adoptent aussi une approche axée sur les personnes avec leur personnel. Cette façon de faire a été en partie inspirée par les expériences antérieures de Lisa Manaigre, qui a remarqué un manque de soutien pour les femmes au travail. «Je voulais mettre sur pied une entreprise qui incarne les valeurs de notre culture en appuyant les femmes qui pratiquent le droit et en réfléchissant à la maternité et à la façon de permettre aux femmes de poursuivre une carrière tout en étant mères», explique l’avocate.
«Nous tenions à créer un milieu de travail qui favorise la collaboration, où les employées se sentent épaulées, où on comprend les contraintes de la vie familiale et où on ne se soucie pas uniquement des bénéfices. Nous voulions une vraie culture de mentorat et de soutien», ajoute Lisa Manaigre.
Cette volonté se traduit par un horaire variable, la possibilité de travailler de la maison lorsque les enfants sont malades, la permission d’emmener les enfants au bureau et un horaire allégé pour les nouvelles mères. «Nous essayons réellement de favoriser la conciliation travail-vie personnelle, ajoute Priscilla Sternat-McIvor. Nous ne voulons pas que nos avocates s’épuisent et ne vivent que pour le travail. La profession juridique n’est pas facile pour les femmes, mais nous voulons qu’elles réussissent.»
Son associée acquiesce: «Nous encourageons nos avocates à prendre du temps pour elles à l’extérieur du bureau. Je crois que cela fait d’elles de meilleures avocates. Lorsque vous avez acquis des expériences de vie, vous devenez une personne plus empathique, affirme Lisa Manaigre. J’aime à penser que nos avocates sont des personnes très sensibles et font preuve de beaucoup de compassion.»
Les membres du personnel se rencontrent afin d’échanger des idées et d’apprendre
Une autre composante importante de l’approche de cette société consiste à tenir des tables rondes bimestrielles lors desquelles les avocates, à tour de rôle, préparent de la nourriture ou apportent le dîner, et toutes discutent de leurs dossiers.
«Nous échangeons des idées et discutons de ce que nous avons appris de nos clients et du système, de petits trucs et astuces, de dossiers intéressants ou de scénarios inusités afin que nous puissions enseigner, apprendre, discuter et résoudre les problèmes», explique Lisa Manaigre.
«C’est probablement le meilleur aspect de notre travail: nous prenons soin les unes des autres. Nous pouvons nous appuyer sur nos collègues quand il le faut et nous épauler mutuellement dans nos pratiques.»