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Comment prendre soin des propriétaires d’entreprise lors de sérieuses difficultés

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Le côté plus obscur de l’entrepreneuriat nous échappe souvent

Notre perception des propriétaires d’entreprise est souvent associée au côté positif de l’entrepreneuriat, soit relever des défis avec brio, créer de la prospérité et assumer un leadership dans sa communauté. Il y a par contre un côté plus obscur de l’entrepreneuriat qui nous échappe, mais qu’il vaudrait la peine de mettre davantage en évidence: stress, solitude et désarroi, particulièrement quand le projet entrepreneurial ne va pas aussi bien qu’espéré.

Dans le cadre de notre nouvelle initiative: prendre soin des propriétaires d’entreprise, nous nous entretenons avec une des personnes qui ont initié de l’idée, notre collègue Michel Bergeron, Chef de la direction stratégique, qui a généreusement accepté de partager avec nous une expérience à la fois très douloureuse et personnelle – le suicide de son frère, un entrepreneur.

BDC: Est-ce que vous pourriez nous parler de ce qui est arrivé à votre frère?

Mon frère était le 4ième enfant d’une famille de six, dont je suis le benjamin. Nos deux parents étaient propritaires d’entreprise, donc cette réalité entrepreneuriale, on l’a côtoyée toute notre vie. Il était ingénieur mécanique, mais aussi entrepreneur dans l’âme. Lors d’un mandat en Europe, il a découvert une technologie novatrice allemande: des murs rideaux en bois à haute efficacité énergétique (de façon pratique, il s’agit de fenestration de grand format pour des immeubles à bureaux ou maison de luxe). C’est là qu’il a fondé son entreprise et a commencé à vendre et manufacturer ce produit.

Étant donné mon expérience en entrepreneuriat, je l’ai aidé pour son plan d’affaires et ses prévisions financières. Comme il était bon vendeur, il m’a convaincu ainsi qu’un de nos frères à devenir actionnaires de son entreprise. Mon frère a démarré le projet, mais ça n’a jamais été facile. En bout de ligne, son produit était de très haut de gamme et le marché de l’est du Canada était trop petit et en était à ses balbutiements. Il fallait qu’il investisse pour sensibiliser le marché et qu’il forme une équipe des ventes importante pour réussir. Au bout de 3 ans, les résultats financiers n’étant pas au rendez-vous, mon autre frère et moi lui avons suggéré d’arrêter les opérations.

Mais mon frère avait décidé qu’il réussirait son projet d’entreprise et a décidé d’investir toutes ses économies dans son entreprise. Le tout est devenu obsessionnel et a commencé à miner sa santé mentale. Sa détermination est devenue de l’obstination. Le mois qui a précédé son suicide a été extrêmement stressant. Il a soudainement réalisé qu’il n’arriverait pas à s’en sortir tout seul. Finalement, il m’a dit qu’il n’était plus capable et qu’il était prêt à vendre, qu’il n’avait plus l’énergie.

Trois semaines plus tard, il a été hospitalisé et a fait une tentative de suicide à l’hôpital. Malgré ça, le lendemain, le médecin l’a laissé partir. Mon frère s’est suicidé le lendemain, le dimanche 26 novembre 2017. Et c’est là que tout a déboulé.

BDC: Vous avez dû reprendre la compagnie de votre frère – comment avez-vous vécu cette expérience?

Comme j’étais actionnaire de la compagnie il n’y avait pas d’autres alternatives que moi pour s’en occuper. Du jour au lendemain j’ai dû prendre la relève de l’entreprise, du personnel, des contrats – à distance. J’ai dû commencer le processus de vente de l’entreprise. En même temps, je devais gérer l’impact émotif de perdre mon frère. Ce fut et c’est encore une situation difficile pour moi et ma famille. De façon générale, les familles affectées par la perte soudaine d’une ou un proche doivent non seulement gérer le choc émotif, mais aussi toutes les conséquences administratives du décès. Le tout se complique encore plus lorsque la défunte ou le défunt laisse une entreprise en opération.

BDC: Pourquoi croyez-vous que notre nouvelle initiative est si importante?

Lors des funérailles de mon frère, plusieurs propriétaires d’entreprise m’ont approché et m’ont dit: «Je ne suis pas loin de me rendre où ton frère s’est rendu et je ne sais pas quoi faire. Il faut trouver une solution».

Un grand nombre de propriétaires d’entreprise souffrent de solitude. Quand les choses vont mal, plusieurs le cachent. Ce n’est pas évident de dire à son personnel et à ses founisseuses et fournisseurs: «Je ne sais pas si je vais être capable de vous payer la semaine prochaine.» Et ça ne se dit pas à la clientèle non plus. Les propriétaires d’entreprise le cachent même parfois à leur conjointe ou conjoint pour ne pas les inquiéter. Elles et ils ont la dure tâche de trouver une solution et ça devient hyper stressant. Toutes les personnes qui ont déjà vécu avec une ou un propriétaire d’entreprise dont les affaires ne vont pas bien, ont probablement vu l’impact que ça pouvait avoir et le sentiment d’impuissance que l’on peut ressentir.

Il suffit de penser à combien d’entreprises ferment au bout de deux ans après leur début et ça nous laisse imaginer la quantité d’individus qui vivent des situations extrêmement stressantes.

BDC: Y a-t-il quelque chose dont nous devrions avoir conscience ou un élément auquel nous devrions faire attention, lorsque nous traitons avec notre clientèle?

Je dirais soyez à l’écoute et ayez conscience que des propriétaires d’entreprise qui font face à de sérieuses difficultés ont des enjeux de bien-être. Demandez-leur réellement comment elles et ils vont et comment elles et ils gèrent leur stress. Si vous voyez des signes de détresse, ayez de l’empathie, référez vos clientes et clients à des ressources externes.

Nos collègues aux comptes spéciaux et en restructuration d’entreprise sont déjà reconnus pour être très empathiques. J’encouragerais aussi toutes les personnes de notre équipe qui interagissent avec notre clientèle à trouver une façon d’établir une réelle relation de confiance. Lorsque la confiance s’établit, vous réaliserez que les vrais enjeux commencent à être discutés. L’erreur fréquente commise par nos clientes et clients est de cacher des mauvaises nouvelles à sa banquière ou son banquier de peur qu’on rappelle notre financement. Mais c’est tout le contraire qui devrait se produire. Si elles ou ils nous parlent, on peut faire partie de la solution. Souvent, notre clientèle vient nous voir lorsqu’il est trop tard.

Il ne s’agit pas, pour les membres de notre personnel, d’agir comme des spécialistes en santé mentale, ce qui serait déplacé. Nous voulons juste que chaque membre de notre équipe ait conscience du côté obscur de l’entrepreneuriat et donne le meilleur d’elle-même ou de lui-même pour notre clientèle, et cela, dans l’intérêt de tout le monde. Et que chaque membre de l’équipe puisse écouter attentivement et avec empathie, en cas de signe de danger, et prenne des mesures pour sensibiliser les clientes et clients aux ressources pouvant les aider.

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